A propos
Un film de Frederic Grimaud avec la musique de Martin Knoche
Biographie
Engelmarie Sophie naît en 1959 en Allemagne de l’Est; quatrième enfant d’une famille de musiciens, elle grandit au cœur des turbulences politiques entre les blocs de l’Est et de l’Ouest.
Son enfance baigne dans la culture et la musique : son père est Kantor (maître de chapelle), et sa famille (elle aura 5 frères et sœurs) forme à elle seule un ensemble vocal et instrumental. Les activités de son père lui permettent de participer à de nombreux concerts, qui la nourrissent intérieurement et constituent des moments privilégiés dans le contexte politique difficile de l’époque.
À 7 ans, lors d’une visite des « Gemäldegalerie » de Dresden, la découverte de la toile de Rembrandt « l’enlèvement de Ganymede » constitue pour elle un élément déclencheur qui l’oriente vers l’art pictural.
Elle est par la suite fortement impressionnée aussi par Leonardo da Vinci, sa présence si puissante dans son œuvre et sa liberté intérieure, percevant en lui un artiste qui avait touché à l’invisible.
À 14 ans elle s’initie à Dresde à l’œuvre du peintre du 19e s. Caspar David Friedrich, entrevoyant dans ses tableaux un symbolisme mystique déclencheur d’une compréhension profonde du monde. Elle perçoit alors que la dialectique entre la forme-matière, les symboles et la couleur permet d’accéder à l’impalpable, à l’invisible, au dépassement de soi, et ceci avec la même intensité et la même émotion que suscitent en elle les grandes œuvres musicales.
L’adolescente n’adhère pas au régime communiste alors en place, et son opposition lui ferme l’accès aux études. En 1977 avec ses parents et quatre de ses frères et sœurs, elle fuit une nuit de décembre l’Allemagne de l’Est et se réfugie à l’Ouest. Après une première période difficile, elle repart de zéro et est admise dans un ensemble vocal; parallèlement elle se forme dans un atelier d’aquarelle et obtient aussi le diplôme d’infirmière. Cependant l’Allemagne de l’Ouest de l’époque lui apparaît comme une societé de consommation matérialiste.
Elle s’y sent étrangère, et finit par s’installer en 1984 en France où elle fondera une famille et aura quatre enfants.
Dès 1990 elle fréquente en France des ateliers de peinture à l’huile, de gravure, de modelage et de vitrail. En 1992 le décès de sa mère la ramène à la sculpture en terre. Modeler la terre l’aide désormais à comprendre l’apparition éphémère de corps de matière sur terre. Chaque sculpture modelée lui semble enraciner, apaiser, canaliser, et la contemplation de l’œuvre créée comme permettre un nouveau départ.
Son expérience de différentes cultures et sociétés amènent Engelmarie Sophie à rechercher l’impalpable dans le travail de la matière, à tenter de donner forme à l’invisible et à s’approcher de la contemplation du mystère.
Pour cela, elle travaille en priorité avec des matières pures et naturelles, qui sont pour elles chargées du sens de l’histoire et des symboles.
C’est l’époque de sa « série rouge », où la découverte de vibrations de la matière la guide vers des images et des formes nouvelles.
À l’opposé des matières trop manipulées ou artificielles qui lui semblent alors inertes, le travail de pigments, d’or, de goudron pur, d’un liant pur sur une toile en lin ou en chanvre déclenche de soi une histoire qu’il lui suffit de suivre pour la découvrir et la rendre visible.
C’est l’effacement du « moi » lors du travail de création qui permet l’écoute de l’univers, et de cette vacuité l’œuvre apparaît d’elle-même. Mahler disait : « On n’est en quelque sorte que l’instrument sur lequel joue l’univers » Man ist sozusagen selbst nur ein Instrument, auf dem das Universum spielt.
En 2007 son frère meurt dans ses bras à la suite d’une longue maladie. Les expériences liées à son accompagnement et à sa mort donnent à Engelmarie Sophie la sensation palpable d’être dans ce monde comme une aveugle.
C’est le point de départ d’une nouvelle recherche : elle apprend le Braille et travaille deux ans avec un aveugle de naissance. Elle recherche ce que Saint Exupéry appelait « le regard du cœur », et c’est l’époque du travail avec des feuilles d’or et l’écriture Braille, la recherche d’une réalité invisible dans les reflets de la lumière sur la surface opaque.
L’apogée de cette période de recherche créative avec le Braille et les feuilles d’or est atteinte en parallèle avec l’exploration de l’histoire et des origines et une exposition fortuite sur le roi Conrad (né vers 880, il régna de 911 à 918).
Ce roi se trouve au carrefour historique de la séparation des Francs, qui donnera l’Allemagne et la France. Ceci évoque pour elle sa double culture française et allemande; son histoire et son époque sont mal documentées et relativement peu traitées par les historiens, ce qui les rend comme invisibles, semblables aux fils invisibles de son propre passé, semblables à la réalité invisible cachée derrière ce qu’on croit voir.
De nos jours
Après cette période, vient une époque de « lucidité » : les fonds deviennent blancs; les pigments bleus remplacent le Braille et les feuilles d’or. Progressivement la palette devient très colorée, et sur les toiles prennent place des mouvements rythmés de danse et des vibrations sonores des couleurs.
Engelmarie Sophie peint à cette époque dans des sessions communes avec des musiciens en « live », y compris avec sa sœur violoniste qui décèdera peu après. Elle peint aussi en écoutant des enregistrements comme autant de méditations rythmiques, et s’inspire entre autres de l’œuvre du compositeur argentin Astor Piazzolla.
Les tableaux de cette époque reflètent alors les sons du dialogue entre formes, couleurs et trait. Sa perception du trait justement évolue : s’il lui avait toujours paru limitant et enfermant, il se transforme lorsqu’il trace le mouvement du danseur, lorsqu’il esquisse une succession de sons, lorsqu’il évoque ce qui n’est plus, la fluidité du limité faisant toucher le fluide et l’illimité. C’est la période de « la forme qui in-forme”.
Les tableaux de cette époque reflètent alors les sons du dialogue entre formes, couleurs et trait. Sa perception du trait justement évolue : s’il lui avait toujours paru limitant et enfermant, il se transforme lorsqu’il trace le mouvement du danseur, lorsqu’il esquisse une succession de sons, lorsqu’il évoque ce qui n’est plus, la fluidité du limité faisant toucher le fluide et l’illimité. C’est la période de « la forme qui in-forme”.
Amnon Yaïsh